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Ville de Montréal c. Compagnie de construction Édilbec inc., 2022 QCCA 1521 (CanLII)

Date :
2022-11-07
Numéro de dossier :
500-09-029442-217; 500-09-029441-219
Référence :
Ville de Montréal c. Compagnie de construction Édilbec inc., 2022 QCCA 1521 (CanLII), <https://canlii.ca/t/jsxkp>, consulté le 2024-04-23

Ville de Montréal c. Compagnie de construction Édilbec inc.

2022 QCCA 1521

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-029441-219, 500-09-029442-217

(500-17-091210-156)

 

DATE :

7 novembre 2022

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

 

500-09-029441-219

(500-17-091210-156)

 

VILLE DE MONTRÉAL

APPELANTE – défenderesse / demanderesse reconventionnelle

c.

 

LA COMPAGNIE DE CONSTRUCTION ÉDILBEC INC.

INTIMÉE – demanderesse / défenderesse reconventionnelle

 

 

500-09-029442-217

(500-17-091210-156)

 

LA COMPAGNIE DE CONSTRUCTION ÉDILBEC INC.

APPELANTE – demanderesse / défenderesse reconventionnelle

c.

 

VILLE DE MONTRÉAL

INTIMÉE – défenderesse / demanderesse reconventionnelle

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]         Le 27 août 2013, à la suite d’un appel d’offres public, la Ville de Montréal octroie à La compagnie de construction Édilbec inc. un contrat à forfait relatif d'une valeur de 9 040 000 $[1] pour des travaux d’agrandissement et de mise à niveau d’un aréna.

[2]         Les travaux commencent le 30 septembre 2013 et font l’objet de 156 ordres de changement (« ODC »). Ils se terminent le 4 décembre 2014, environ quatre mois après l’expiration du délai contractuel de 310 jours[2].

[3]         Édilbec poursuit la Ville en dommages-intérêts. Elle lui réclame 83 087 $ à titre de solde contractuel, 291 600 $ pour des frais de prolongation de chantier et 37 963 $ pour la réalisation de travaux en période hivernale.

[4]         La Ville conteste ces réclamations. Pour l’essentiel, elle soutient qu’Édilbec n’a pas respecté la procédure contractuelle de modification, ni démontré l’impact des ODC sur le cheminement critique des travaux. En janvier 2017, plus d’un an après le début des procédures judiciaires, la Ville modifie sa défense et se porte demanderesse reconventionnelle pour réclamer à Édilbec 1 256 560 $[3] en application de la pénalité de retard prévue dans le contrat.

[5]         Dans un jugement rendu le 23 février 2021, la juge Chantal Corriveau de la Cour supérieure, district de Montréal, accueille en partie la demande d'Édilbec et condamne la Ville à lui payer 76 887 $ à titre de solde contractuel[4]. Elle rejette les autres réclamations d'Édilbec ainsi que la demande reconventionnelle de la Ville fondée sur la pénalité de retard.

[6]         Les deux parties sont insatisfaites du jugement. L’appel d’Édilbec porte sur les points suivants :

         La renonciation de la Ville à la procédure contractuelle de modification;

         L’impact des ODC sur le cheminement critique des travaux;

         Les coûts additionnels pour la réalisation de travaux en période hivernale;

         La malfaçon du carrelage d'une salle de toilette.

[7]         La Ville, dans son appel, soutient que la juge a erré en ajoutant des conditions d’application et de mise en œuvre de la clause de pénalité de retard et en inversant le fardeau de la preuve.

[8]         Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que les deux appels doivent échouer.

La renonciation de la Ville à la procédure contractuelle de modification

[9]         Selon le cahier des charges, Édilbec devait présenter à la Ville un calendrier des travaux sous la forme offerte par le logiciel Microsoft Project. Ce calendrier devait être mis à jour tous les 30 jours ou sur demande du directeur du service concerné ou de son représentant (« Directeur »).

[10]      Quant à la procédure de modification des travaux, le cahier des charges contient des clauses tout aussi impératives :

Clauses administratives générales

5.1.7.3 Lorsque ces modifications ont pour effet de prolonger la durée des travaux, I’entrepreneur doit en aviser le Directeur et convenir avec lui du nombre de jours additionnels dont il peut avoir raisonnablement besoin et ajuster le calendrier des travaux en conséquence, comme prévu à la directive de changement.

5.1.7.4 La directive de changement doit préciser, à chaque fois, si les modifications approuvées par le Directeur et acceptées par l'entrepreneur entraînent une modification au calendrier des travaux; à défaut, la directive de changement dûment acceptée est réputée n'entraîner aucune modification au calendrier des travaux.

[Caractères gras dans l’original]

Clauses administratives spéciales

5.1.7   Modification des travaux

[…]

L'entrepreneur doit faire la démonstration que ce délai additionnel est inévitable en produisant les pièces justificatives, notamment un calendrier de l’exécution des travaux révisé, ainsi que tout autre document exigé par le Directeur.

[Caractères gras dans l'original]

[11]      La preuve révèle qu'Édilbec a négligé de mettre à jour le calendrier des travaux, et ce, malgré les demandes répétées de la Ville. De fait, elle a produit seulement deux calendriers intégrant des ODC, le premier en date du 4 février 2014 (ODC 1 à 15) et le second, le 7 juillet 2014 (ODC 1 à 62).

[12]      À cet égard, la juge conclut qu'Édilbec « n'a pas fourni des calendriers de travaux conformes aux exigences de la Ville » et que « [l]es échéanciers remis n'ont pas démontré l'impact des travaux additionnels sur le cheminement critique au fur et à mesure des ODC »[5]. Elle voit dans les échanges entre Édilbec et l'architecte de la Ville non pas une renonciation, « mais au contraire une démonstration du maintien des exigences contractuelles »[6].

[13]      Édilbec soutient que la juge a erré en concluant que la Ville n'a pas renoncé à l'application stricte du contrat et en omettant de considérer l'ensemble des circonstances entourant les ODC.

[14]      Qu'en est-il?

[15]      L'existence d'une renonciation tacite est une question de fait ou mixte assujettie à la norme de l'erreur manifeste et déterminante. Une telle renonciation doit être claire et non équivoque, c’est-à-dire que « les faits et gestes dont on allègue qu'ils constituent ou entraînent la renonciation doivent être tels que la seule inférence logique qu'on puisse raisonnablement en tirer est celle de la renonciation »[7].

[16]      En l'espèce, la conclusion de la juge sur l'inexistence d'une renonciation de la Ville trouve largement appui dans la preuve. Il suffit de mentionner les éléments suivants :

         Dès la première réunion de chantier, la Ville souligne l'importance d'un échéancier complet « pour permettre une évaluation juste et incontestable des délais éventuels au chantier »;

         Le 4 octobre 2013, l'architecte de la Ville, M. Marcil, insiste pour qu'Édilbec se conforme au contrat « en modifiant et en bonifiant en conséquence [son] échéancier »;

         Le 28 novembre 2013, M. Marcil rappelle à Édilbec que l'échéancier contractuel doit être mis à jour mensuellement et intégrer les changements dans le contrat, ajoutant que cet échéancier « servira entre autres, avec son cheminement critique, à déterminer l'avancement réel et les retards, s'il y en a »;

         Le 24 janvier 2014, M. Marcil juge irrecevable la mise à jour du 20 décembre 2013 et enjoint à Édilbec de « prendre tous les moyens requis pour respecter la date de fin contractuelle. Jusqu'à preuve du contraire (à être confirmée par un échéancier à jour), ces efforts seront à vos frais »;

         Lors de la réunion de chantier du 30 janvier 2014, MM. Zilembo et McDuff, pour la Ville, réitèrent leur volonté de « régler chaque directive au fur et à mesure, tel que stipulé au contrat, et qu'ils ne veulent pas devoir payer (par exemple) 300 000 $ à la fin du chantier »;

[17]      S'ajoute à cela le témoignage de M. McDuff sur la dynamique de signature des ODC :

[...] Fait que l’entrepreneur indiquait, disons, ben, regardez, là, ç’a un impact, pis c’est à venir, on va vous le démontrer. Mais nous, on est dans une dynamique qu’on veut régler chacun des changements au cas par cas.

Fait qu’à ce moment-là, ben, on était en désaccord. Ce qu’on voulait éviter à tout prix, pis malheureusement, ce qui est arrivé, c’est, on l’a pelleté à plus tard, créer une espèce de boule de changements impossible à comprendre, en fin de chantier, pour, pour démêler tout ça.

Fait que y faut, y faut s’attaquer à chacun des changements. Fait que l’entrepreneur, y marquait souvent, disons, « à venir » ou impact à déterminer. Pis nous, on le biffait, parce qu’on était en désaccord avec ça. Pis vite comme ça, ben, on en voyait pas d’impact, mais on demandait de la démontrer en même temps, avec l’échéancier.

Fait que c’était comme la dynamique, là, en continu.[8]

[Transcription textuelle; italiques dans l’original]

[18]      En somme, il se dégage de la preuve que la Ville tenait à ce que la procédure soit suivie, justement pour éviter de se retrouver à la fin des travaux avec une réclamation de 300 000 $. La Ville n'a pas tort de qualifier ses échanges avec Édilbec de « dialogue de sourds », car dès le début des travaux, cette dernière a agi comme si elle pouvait reporter le règlement de ses réclamations à la fin, ce contre quoi la Ville a toujours protesté.

[19]      Il est vrai que la Ville a accepté certains assouplissements, mais c’est davantage en raison des manquements chroniques d’Édilbec et parce qu’elle voulait éviter une suspension des travaux. Par exemple, dans le compte rendu de la réunion de chantier du 30 janvier 2014, on lit qu’« il est convenu que l’entrepreneur inclura dans son échéancier les changements 1 à 15 pour évaluer les possibles retards pour les changements ». Confrontée au refus ou à l’incapacité d’Édilbec de se conformer à la procédure contractuelle en faisant la démonstration au fur et à mesure de l’impact des ODC sur le cheminement critique, la Ville a fait preuve de souplesse et a accepté d’analyser certains changements en bloc. Cela ne saurait équivaloir à une renonciation explicite ou implicite à la procédure contractuelle.

[20]      C’est la conclusion à laquelle la juge arrive :

[52]  La présente situation s’apparente à celle tranchée par la Cour d’Appel dans l’arrêt Hôpital Maisonneuve Rosemont c. Buesco Construction inc. L’incapacité d’Édilbec de fournir un échéancier qui intègre un cheminement critique fiable afin d’illustrer l’impact des travaux additionnels requis par la Ville avec ses ODC, aussi nombreux soient-ils, équivaut à un manquement important aux obligations contractuelles. Le fait que les parties ont continué de travailler ensemble en vue de mener à terme les travaux requis ne constitue pas une démonstration de renonciation aux exigences du contrat.

[Renvoi omis]

[21]      Cette interprétation de la preuve est raisonnable et Édilbec ne fait voir aucune erreur manifeste et déterminante justifiant de s’en écarter.

L’impact des ODC sur le cheminement critique des travaux

[22]      Édilbec reproche à la juge de ne pas avoir pris en compte la quantité considérable d'ODC et les retards qu'ils ont inévitablement causé sur le cheminement critique des travaux. Sa thèse est que « même en "l'absence d'une preuve adéquate", la Juge aurait dû conclure que les ODC […] ont manifestement eu un effet sur la durée du Projet et qu'une compensation pour ces travaux était raisonnable et nécessaire afin de préserver l'équilibre entre les parties »[9].

[23]      Cette thèse n'est pas fondée. Le fardeau de démontrer que les ODC ont causé la prolongation du chantier reposait sur les épaules d'Édilbec, tant en vertu du cahier des charges que des principes généraux du droit civil. Or, cette démonstration n'a pas été faite.

[24]      Comme le plaide la Ville, sur les 156 ODC, seuls les ODC 1 à 62 ont fait l’objet d’une réclamation. M. Savo, pour Édilbec, a témoigné que seuls 10 ODC ont pu avoir un impact sur le cheminement critique. Enfin, la preuve au procès a porté exclusivement sur les ODC 11, 12 et 22.

[25]      La juge analyse la preuve en détail et conclut qu'elle ne supporte pas la réclamation d'Édilbec pour des frais de prolongation de chantier. Les déterminations factuelles de la juge, tout comme son évaluation de la force probante du rapport d’expertise de Frédéric Charest, ne comportent aucune erreur manifeste et déterminante.

[26]      Édilbec invoque le témoignage de M. Zilembo selon lequel « il y avait une partie de jours […] qui était compensable ». Cet élément n'est pas déterminant dans la mesure où M. Zilembo a pris soin de préciser que l'analyse qui a été faite à ce moment-là était « dans le but d'acheter la paix » et que la compensation offerte à Édilbec se voulait « une décision d'affaires ». La Cour y voit une tentative de régler le litige et non une admission du bien-fondé de la réclamation d'Édilbec.

Les coûts additionnels pour la réalisation de travaux en période hivernale

[27]      La juge conclut que le retard de trois semaines au début du chantier est en partie attribuable à Édilbec, « vu son retard à se conformer aux exigences Leeds », et que les coûts additionnels réclamés « devaient être anticipés pour un contrat se déroulant entre septembre 2013 et l'été 2014 »[10].

[28]      Sur ce dernier point, le cahier des charges mentionne que « pour fins d'évaluation des coûts de chauffage et des autres conditions d'hiver, il est prévu acheminer le dossier final pour approbation au Conseil Municipal en septembre 2013 ». Pour M. Zilembo, « ça donne un indice aux entrepreneurs que les travaux devront commencer peut-être dans les jours, dans les semaines qui suivent le mois de septembre », de sorte qu'ils « sont en mesure d'évaluer leur soumission en fonction des conditions d'hiver ».

[29]      La juge ne commet donc aucune erreur manifeste et déterminante en rejetant cette réclamation.

La malfaçon du carrelage d'une salle de toilette

[30]      La juge constate que la Ville a déboursé 6 200 $ plus taxes pour faire corriger la malfaçon du carrelage d'une salle de toilette. Elle déduit donc cette somme du solde contractuel. Encore ici, Édilbec ne fait voir aucune erreur manifeste et déterminante justifiant l'intervention de la Cour.

L’application de la clause de pénalité de retard

[31]      La clause de pénalité de retard est ainsi rédigée :

5.1.10.1 Retard dans l'exécution des travaux

5.1.10.1.1 Le délai stipulé aux documents pour l'exécution des travaux est l'essence du contrat et le simple retard dans l’exécution des obligations de l'entrepreneur peut entrainer l'imposition, par le Directeur, d'une pénalité.

5.1.10.1.2 Pour chaque jour de retard à terminer les travaux, l’entrepreneur doit payer à la Ville une pénalité de 0.1 % du prix du contrat accordé, excluant la taxe fédérale sur les produits et services (TPS) et la taxe de vente du Québec (TVQ) et le montant des travaux contingents. Cette pénalité n'est jamais inférieure à 200 $ par jour de retard.

[32]      Après avoir noté que le texte de cette clause octroie un pouvoir discrétionnaire au Directeur, la juge retient qu'il n'y a pas de preuve d’une recommandation de ce dernier d’appliquer la pénalité et estime que la demande reconventionnelle de la Ville « ressemble davantage à un exercice stratégique afin de possiblement inciter [Édilbec] à abandonner ses réclamations »[11]. Elle ajoute, en obiter, qu'il aurait encore fallu réussir à départager la responsabilité de la Ville et celle d'Édilbec et que le rejet de la réclamation de cette dernière n'a pas pour effet de donner ouverture automatiquement à la clause de pénalité.

[33]      Comme déjà mentionné, la Ville soutient que la juge a erré en ajoutant des conditions d’application et de mise en œuvre de la clause et en inversant le fardeau de la preuve.

[34]      La Cour est d'avis qu’il n’y a pas lieu d’intervenir.

[35]      La preuve révèle en effet que le Directeur a décidé, en cours de chantier et même après le début des procédures judiciaires, qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer la clause de pénalité de retard. Il est utile de reproduire cet extrait de l'interrogatoire préalable de M. Zilembo :

Q. [20] Mais comme quoi la Ville entendait tenir l'entrepreneur responsable, parce qu'on sait que contractuellement, l'entrepreneur peut se voir imputer une pénalité en cas de retard, la Ville n'a jamais avisé l'entrepreneur qu'on allait lui réclamer cette pénalité-là?

R. C'est-à-dire que peut-être par écrit, je ne sais pas, mais verbalement, j'ai eu des discussions avec Patrizio Savo au chantier, d'où il avait une crainte que la pénalité pourrait être appliquée. Et je lui ai assuré que c'est moi qui décidais à savoir si la pénalité s'appliquait ou non, et avant de décider de l'application ou non d'une pénalité, il y avait un jugement qui était apporté par moi des circonstances qui menaient au retard. Donc, il n'avait pas à s'inquiéter à ce niveau-là.

Q. [21] O.K., c’est ça, vous avez dit à Edilbec qu'ils n'avaient pas s'inquiéter, qu'on ne leur imposerait pas de pénalité?

R. J'ai dit à Edilbec que c'était moi qui décidais, et donc moi, lorsque je vois que généralement, puis là lorsque je vois que l'entrepreneur fait tout pour exécuter les travaux et malgré ça, il y a un retard, c’est sûr qu'on regarde Ie pourquoi du retard, et si l'entrepreneur en quelque sorte n'est pas fautif ou il a des justifications, c’est moi qui décide. Donc, si je décide qu'il n'y a pas lieu de l'appliquer, on ne l'applique pas. Si je décide qu'il y a lieu de l'appliquer, on l'applique.

Q. [22] Et dans les faits, vous …

R. Et donc, je …

Q. [23] Oui?

R. … j'ai tenté de rassurer Monsieur, monsieur Patrizio, que c'était moi qui décidais. Donc, qu'il n'avait pas à s'inquiéter de de … qu'un tierce partie qui arrive pour dire que lui était sujet à cent mille dollars (100 000 $) de pénalité, par exemple.

Q. [24] Et dans les faits, vous ne l'avez pas appliquée cette pénalité-là?

R. Dans les faits, à ce jour, on ne l'a pas appliquée.[12]

[Transcription textuelle; italiques dans l’original; caractères gras ajoutés]

[36]      Le témoignage de M. Savo confirme les propos rassurants de M. Zilembo :

Q. O.K. Puis quel était le, la position des différents représentants de la Ville par rapport à ça durant l’exécution des travaux?

R. C'était jamais question d'appliquer une pénalité. Souvent en parlant avec, là, M. Zilembo y a dit : « Cette clause-là a été jamais appliquée dans le passé », il dit : « Si on voit la bonne volonté on comprend qu'il y a des délais de exécution, des délais de, de réponse. Si on voit la bonne volonté, la bonne représentation de l'entrepreneur sur le chantier on va jamais appliquer cette clause-Ià ».

Je pense que j'ai fait mon mieux pour accommoder l'arrondissement ou la Ville, même pendant l'inauguration du chantier ils nous ont invités, le maire de l'arrondissement ils nous ont fait lever pour remercier du bon travail qu'on avait fait. Alors, y avait jamais question d'appliquer une pénalité dans ce projet-là.[13]

[Transcription textuelle; caractères gras ajoutés]

[37]      Contrairement à l'interprétation proposée par la Ville, les propos de M. Zilembo ne visaient pas seulement à rassurer M. Savo sur le fait que c'était lui qui décidait d'appliquer ou non la pénalité. Clairement, il lui a dit qu'« il n'avait pas à s'inquiéter à ce niveau-là ». Tout au moins M. Savo pouvait raisonnablement s'attendre à ce que la pénalité ne soit pas appliquée.

[38]      Dans l'arrêt Enerkem Alberta Biofuels c. Papillon et Fils ltée, la Cour, sous la plume de la juge Hogue, reconnaît que des propos visant à rassurer son cocontractant peuvent constituer une forme de renonciation ou une fin de non-recevoir à une réclamation de dommages-intérêts liquidés :

[56]  Les témoignages des représentants de LP démontrent que le courriel visait à rassurer Papillon en lui laissant croire que LP n’exigerait pas le paiement des dommages liquidés. C’est dans ce but qu’il est écrit et c’est ce que sa lecture suggère clairement.

[57]  En permettant à LP de réclamer et d’obtenir paiement des dommages convenus malgré cette assurance donnée à Papillon, le Tribunal aurait cautionné un comportement visant à créer de fausses attentes. D’autres avenues s’offraient à LP si elle croyait sincèrement que Papillon se livrait à du chantage. Ayant choisi de rassurer son cocontractant, elle doit ensuite faire preuve de cohérence et de bonne foi.

[58]  J’estime donc que la juge a eu raison de voir dans le courriel de LP une forme de renonciation et d’opposer à sa réclamation une fin de non‑recevoir.[14]

[Renvoi omis]

[39]      Ici aussi, après avoir choisi de rassurer Édilbec, la Ville devait faire preuve de cohérence et de bonne foi.

[40]      Par ailleurs, l'inférence tirée par la juge voulant que l'application de la pénalité ressemble davantage à un exercice stratégique initié par le contentieux de la Ville, plutôt qu’à une décision du Directeur au sens où l’entend la clause 5.1.10.1, trouve appui dans le témoignage de M. Zilembo au procès :

Q. Puis dans ce cas-ci, c'est, je dois comprendre, c'est vous, en 2017, qui avez décidé de l’appliquer lorsque la demande reconventionnelle a été notifiée?

R. Suite à la tournure du dossier, on était placés dans une situation où y fallait appliquer le contrat. Et donc, avec, avec notre contentieux, il a été décidé d'appliquer la pénalité.

Q. Qu'est-ce que vous voulez dire par la tournure du dossier?

R. Ben, rendus où on était rendus, t'sais, on a tenté, par tous les moyens, de, de voir un autre mode de mettre fin au dossier. Ç’a pas abouti, donc, on est, on est pris à appliquer le contrat. Pis c'est ça, c'est ça qui a été fait.[15]

[Transcription textuelle; caractères gras ajoutés]

[41]      Dans les circonstances, la Cour est d'avis que la juge n'a pas erré en rejetant la réclamation de la Ville fondée sur la clause de pénalité de retard.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

Dans le dossier 500-09-029441-219 :

[42]      REJETTE l’appel, avec les frais de justice.

Dans le dossier 500-09-029442-217 :

[43]      REJETTE l’appel, avec les frais de justice.

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

 

 

 

SUZANNE GAGNÉ, J.C.A.

 

 

 

 

 

FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A.

 

Me Mathieu Turcotte

DHC AVOCATS

Pour la Ville de Montréal

 

Me Julien Grenier

LAPOINTE ROSENSTEIN MARCHAND MELANÇON

Pour la Compagnie de construction Édilbec inc.

 

Date d’audience :

26 octobre 2022

 



[1]     Les taxes et travaux contingents sont en sus.

[2]     Initialement fixée au 16 juillet 2014, l'échéance du délai est reportée au 18 juillet 2014 (ODC 14 et 15). En cours de procès, la Ville accepte de calculer le délai à compter du 30 septembre 2013 (21 jours suivant l'ordre de commencer les travaux), si bien que le retard est de 118 jours exactement (139 jours moins 21 jours). Voir à cet effet : la pièce D-19, Tableau de calcul. Notons également que la date du 4 décembre 2014 est celle de la réception provisoire totale des travaux.

[3]     Cette somme est réduite à 1 066 720 $, après que la Ville a accepté de soustraire 21 jours de son calcul.

[4]     Ville de Montréal c. Compagnie de construction Édilbec inc., C.S. Montréal, no 500-17-091210-156, 23 février 2021, Corriveau, j.c.s. [Jugement entrepris].

[5]     Jugement entrepris, paragr. 48.

[6]     Id., paragr. 51.

[7]    Poirier c. Gravel, 2015 QCCA 1656, paragr. 13, cité récemment dans 91439 Canada ltée (Éditions de Mortagne) c. Robillard, 2022 QCCA 76, paragr. 51. Voir également : Construction Polaris inc. c. Procureur général du Québec, 2021 QCCA 1008, paragr. 5; Phi c. Construction Davinco ltée, 2018 QCCA 159, paragr. 32 et 35.

[8]    Témoignage de David McDuff, preuve en défense, 8 décembre 2020, p.68, ligne 9 à p. 69, ligne 2.

[9]     Argumentation d'Édilbec dans le dossier 500-09-029442-217, paragr. 71.

[10]   Jugement entrepris, paragr. 79-80.

[11]   Id., paragr. 112.

[12]    Interrogatoire après défense de Biagio Zilembo, 28 juin 2016, p. 8, ligne 10 à p. 5781, ligne 25. Le témoignage de M. McDuff est au même effet.

[13]    Témoignage de Patrizio Savo, interrogatoire, 4 décembre 2020, p. 112, lignes 7‑25.

[14]    Enerkem Alberta Biofuels c. Papillon et Fils ltée, 2019 QCCA 1334, paragr. 56-58.

[15]    Témoignage de Biagio Zilembo, contre-interrogatoire, 7 décembre 2020, p. 192 ligne 18 à p. 193, ligne 7.