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Boivin c. Syndicat des copropriétaires Terrasse Le jardin Durocher inc., 2011 QCCS 6110 (CanLII)

Date :
2011-11-08
Numéro de dossier :
500-17-047276-087
Autres citations :
AZ-50806664 — [2012] EXP 3 — JE 2012-2
Référence :
Boivin c. Syndicat des copropriétaires Terrasse Le jardin Durocher inc., 2011 QCCS 6110 (CanLII), <https://canlii.ca/t/fnx09>, consulté le 2024-04-26

Boivin c. Syndicat des copropriétaires Terrasse Le jardin Durocher inc.

2011 QCCS 6110

JL2993

 
 COUR SUPÉRIEURE

(CHAMBRE CIVILE)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

N° :

500-17-047276-087

 

 

 

DATE :

  08 NOVEMBRE 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MARIE-CHRISTINE LABERGE, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

J.L.MARC BOIVIN

 

Requérant/défendeur reconventionnel

 

c.

 

SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES TERRASSE LE JARDIN DUROCHER INC.

 Intimée/demanderesse reconventionnelle

 

                          

_____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]               Un seul copropriétaire peut-il faire échec à l'installation de caméras de surveillance décidée par l'assemblée des copropriétaires.

[2]               J.L.Marc Boivin est copropriétaire d'un immeuble comportant trente sept unités d'habitation appelé Terrasse Le Jardin Durocher.

[3]               Depuis toujours, Boivin s'oppose à l'installation de caméras de surveillance. Il s'agit, dit-il, d'une atteinte à son droit à la vie privée.

[4]               Boivin estime qu'un tel système de sécurité constitue un changement à la destination de l'immeuble laquelle requiert l'unanimité des copropriétaires et lui, s'oppose à ce projet.

[5]               L'assemblée des copropriétaires a résolu de procéder à une telle installation. De fait, six caméras sont maintenant installées, deux à l'entrée de l'édifice, quatre au garage.

L'HISTORIQUE DE L'IMMEUBLE

[6]               Il s'agit d'un immeuble bâti dans les années 1981-1982 que les témoins qualifient de "moyenne gamme confortable". Sa vocation est entièrement résidentielle. La majorité des occupants est âgée de plus de 60 ans. Le Tribunal a pu apprécier qu'il s'agit de personnes éduquées, pondérées et généreuses de leur temps. Le Conseil d'administration est composée de personnes sérieuses et responsables. Ses membres se dévouent sans compter. Le Conseil d'administration est assisté d'une compagnie de gestion d'immeubles. Le Conseil d'administration veille de près à la conservation de l'immeuble et à son entretien.

[7]               Depuis 30 ans, le Conseil d'administration respecte son budget et accumule un important fonds de réserve de sorte que les copropriétaires n'ont jamais été appelés à faire de cotisations spéciales. L'immeuble est bien géré. Il s'agit, toutefois, d'un immeuble plusieurs fois victime de vol et de vandalisme.

L'HISTORIQUE DES CAMÉRAS DE SURVEILLANCE

[8]               Au moment de la construction de l'immeuble, il y a une caméra de surveillance à l'entrée de l'immeuble. Celle-ci est directement reliée par câble à chacune des unités. Chaque copropriétaire peut observer qui entre et qui sort en regardant l'image sur son téléviseur. Cette image est disponible 24h sur 24h. Un propriétaire pourrait passer la journée à regarder et à observer ses voisins. L'appareil d'origine connaît des ratés et ne sert que quelques années.

[9]               Au fil des ans, des directives détaillées sont expédiées aux copropriétaires relativement aux règlements de l'immeuble et aux règlements de sécurité (D-3). On peut y lire que des incidents malheureux surviennent périodiquement dans l'édifice tel que des entrées par effraction, des personnes en état d'ébriété dormant dans le corridor, des portes de garage forcées, des dommages aux véhicules, des vitres de voiture brisées, des phares volés et on rapporte plusieurs vols dans les coffres d'autos.

[10]            Le Conseil d'administration attire l'attention sur l'importance de respecter les mesures de sécurité suggérées.

[11]            Le 06 décembre 2003 (P-1), le procès-verbal de l'assemblée annuelle des copropriétaires indique au point 9: caméras de sécurité. Marcel Côté, l'un des copropriétaires, aussi membre du Conseil d'administration, demande l'avis des copropriétaires à propos de l'installation d'un système de caméras de surveillance des entrées de l'édifice. Deux copropriétaires sont en faveur et les autres sont contre. On invoque qu'il est presque impossible de reconnaître une personne sur la vidéo. On s'oppose aussi au projet parce que ce ne serait pas légal dans une propriété privée à cause des droits à la vie privée.

[12]            La question est reprise, cette fois au Conseil d'administration du 18 mai 2004 (P-2). Le point 6 est intitulé: système de sécurité. Marcel Côté soutient qu'après avoir demandé un avis juridique, le Conseil peut procéder au choix et à la mise en service d'un système que les membres du Conseil auront choisi. Boivin s'y oppose en soutenant qu'il y a là une atteinte à la vie privée et qu'il s'agit d'une décision que tous les copropriétaires doivent approuver.

[13]            Le sujet est encore abordé lors de la réunion du Conseil d'administration du 17 juin 2004 (P-7).  

[14]            Avant la réunion, Alain Schultzki, fait des commentaires écrits (P-4). Il est contre ce projet car il n'est pas convaincu de son efficacité.

[15]            Boivin fait lui aussi des commentaires écrits (P-5). Les deux opinions sont longuement motivées.

[16]            À la réunion du 17 juin 2004 (P-6), le Conseil d'administration examine à nouveau la question. Il a obtenu une soumission pour la somme de 10 425,00 $. Le procès-verbal indique que, puisque la majorité des copropriétaires a voté contre une proposition lors de l'assemblée générale de décembre 2003, on abandonne le projet.

[17]            En juillet 2008, survient un événement important. Les portes du garage sont forcées. Une dizaine de voitures sont endommagées, les coffres d'autos sont volés et les vitres sont fracassées. C'est la panique.

[18]            Les copropriétaires affolés se présentent au garage. Il s'agit presque d'une réunion informelle des copropriétaires. Ils demandent au Conseil d'administration de faire quelque chose. Il s'agit de la sécurité de tous.

[19]            Le Conseil d'administration se réunit le 09 septembre 2008 (P-9). Le Conseil accepte de réouvrir le dossier et de revoir le processus proposé. Le Conseil doit se réunir à nouveau avant l'assemblée générale fixée au 23 octobre 2008.

[20]            Le 25 septembre 2008 (P-10), le dossier des caméras de surveillance est à l'ordre du jour du Conseil d'administration. Les discussions sont animées, voire féroces. Le Conseil d'administration estime nécessaire de préparer une note sur le déroulement de la réunion. (D-4)

[21]            La note relate que le dossier caméras de sécurité était à l'ordre du jour et a donné lieu à des échanges hors normes allant jusqu'aux menaces de Marc Boivin envers les autres participants. Boivin dit qu'il poursuivra le Conseil et chacun des membres individuellement si le dossier caméras se retrouve à l'ordre du jour de l'assemblée générale annuelle.

[22]            On déplore l'attitude verbale et physique de Marc Boivin, empreinte d'émotion et d'agressivité à l'égard des autres membres du Conseil d'administration.

[23]            Le procès-verbal de cette réunion du Conseil d'administration fait état que la réouverture du dossier repose sur l'obligation du Conseil de répondre de façon satisfaisante aux demandes des copropriétaires de tenir compte des développements technologiques. Le Conseil d'administration se montre disposé à assurer la sécurité des copropriétaires. De longues discussions ont été tenues et il n'y a aucun consensus. Le Conseil est d'avis qu'il faut obtenir un avis juridique sur le vote nécessaire pour adopter une telle proposition. On attend cet avis avant de compléter le dossier.

[24]            Le 02 octobre 2008 (P-11), l'assemblée générale annuelle est convoquée pour le 30 octobre 2008 (le changement de date prévu n'a pas d'incidence vu le délai suffisant donné aux copropriétaires).

[25]            L'avis de convocation comporte la mention d'une note sur les modalités des travaux projetés (cette note n'a pas été produite au dossier de sorte que le Tribunal ignore si elle est relative à la question des caméras).

[26]            Il est prévu qu'un copropriétaire peut demander, dans les cinq jours de la réception de l'avis de convocation, de faire inscrire une question à l'ordre du jour. Marcel Côté et sa conjointe Louise Drouin, demandent d'ajouter à l'ordre du jour "la sécurité dans l'édifice" (D-2) et annoncent leur intention de déposer une résolution visant à autoriser le Conseil d'administration à installer une caméra de surveillance dans le garage et dans le vestibule de l'édifice à l'intérieur d'une enveloppe budgétaire de 10 000,00 $.

[27]            Un ordre du jour modifié est envoyé aux copropriétaires (P-12). Au point 9, on y lit: "sécurité à la demande d'un copropriétaire".

[28]            Le 30 octobre 2008 (P-13), se tient l'assemblée générale annuelle des copropriétaires. Quinze personnes sont présentes, 19 le sont par procuration, il y a trois d'absents. Il y a quorum. 

[29]            L'ordre du jour modifié est accepté à la majorité. Boivin vote contre. Un autre copropriétaire s'abstient.

[30]            Au point 9 portant sur la sécurité Côté soumet une résolution:

"Attendu que notre  édifice est susceptible d'être l'objet de vols et d'actes de vandalisme, particulièrement dans le garage, il est résolu d'autoriser le Conseil d'administration à faire installer un système de surveillance par caméras dans le garage, et dans l'entrée de l'édifice, à l'intérieur d'une enveloppe budgétaire de 10 000,00 $ et dans le respect des standards usuels sur la protection de la vie privée". 

[31]            Trente deux personnes appuient la résolution, une personne vote contre et une autre s'abstient. Le vote représente un appui à 87.28% des voix.

[32]            La question des caméras revient finalement à l'assemblée générale annuelle du 09 septembre 2009 (P-18). L'avis de convocation est accompagné d'un rapport des administrateurs.

[33]            Deux résolutions spéciales sont à l'ordre du jour de l'Assemblée dont l'une a trait à ce litige.

"L'autre résolution porte sur la sécurité de l'immeuble et l'installation d'un système de caméra dans le garage et le hall d'entrée. Depuis plusieurs années, nous discutons de l'installation de caméras de sécurité dans le garage et de la remise en service d'une caméra de surveillance au rez-de-chaussée. À l'assemblée générale annuelle du 30 octobre 2008, les copropriétaires ont approuvé une résolution en ce sens, par un vote favorable de 32 sur les 34 représentés à l'assemblée, soit 87.3 % des actions en cours. Un copropriétaire, Marc Boivin (601), a voté contre, alors qu'un autre (605) s'est abstenu.

Le 30 décembre 2008, Marc Boivin a présenté une requête devant la Cour supérieure du Québec demandant l'annulation de ce vote qu'il croit être illégal. En particulier, Me Boivin invoque qu'en installant des caméras dans le garage, nous changeons la vocation de notre immeuble (sa "destination" en termes juridiques), ce qui exigerait un vote unanime des copropriétaires. Pour sa part, Me Boivin est contre l'installation de caméras dans le garage, y voyant une attaque à sa vie privée. Vous avez d'ailleurs été informés de sa poursuite dès le 19 janvier 2009. La cause sera éventuellement entendue à la Cour, possiblement en 2010 ou plus tard.

La sécurité a toujours été une préoccupation des copropriétaires, une caméra était d'ailleurs en service dans l'entrée dès la construction en 1982. L'évolution du quartier nous oblige à renforcer nos mesures de sécurité. Le service de police de la ville de Montréal nous a expliqué l'efficacité d'un système de surveillance par caméras et a également noté son absence lors de leurs constats suite aux vols et vandalisme de l'été 2008. Par ailleurs, l'assureur de notre copropriété nous a indiqué que notre prime serait réduite si nous installons un système de sécurité à base de caméras.

Nous proposons donc d'installer entre quatre et six caméras dans le garage, couvrant toutes les entrées et les sorties, et de remplacer et re-localiser dans le hall la caméra de l'entrée. De plus, nous proposons d'installer l'ordinateur qui contrôlera le système et enregistrera les images dans un local destiné spécifiquement à cette fin, sous l'escalier menant du rez-de-chaussée au passage, un espace inutilisé. Le local sera sécuritaire doté d'une porte constamment verrouillée. Seuls deux responsables dûment autorisés par le Conseil auront accès à l'ordinateur et aux images enregistrées.

Selon les soumissions reçues, le tout sera inférieur à 10 000 $ pour l'installation et la mise en marche, et proviendra du budget d'opérations. À ce stade-ci aucun frais mensuels ne sont envisagés pour l'opération du système.

Vous trouverez ci-joint une proposition de résolution qui confirme cet investissement et le justifie. Nous vous demanderons de voter sur cette résolution à l'assemblée annuelle du 9 septembre. Comme il s'agit d'une amélioration aux parties communes de notre immeuble, son adoption requiert une résolution prise à la majorité des copropriétaires représentant les trois quarts des votes de tous les copropriétaires.

Votre présence à l'Assemblée du 9 septembre est donc de la plus haute importance. Si vous ne pouvez pas y assister, veuillez alors mandater une personne de votre choix et faire parvenir votre procuration au moins 48 heures avant l'assemblée, dûment remplie et signée à un membre du conseil d'administration ou à Gestion Immobilière Paquet.

Le conseil d'administration".

[34]            L'avis de convocation indique au point 11: "contrat pour l'installation de caméras de sécurité".

[35]            La résolution qui sera soumise au vote accompagne l'avis. Elle est intitulée: "résolution sur la mise à jour du système de sécurité par caméras dans l'immeuble".

[36]            La formulation de la résolution résume l'évolution à travers les années de cette question et elle est le reflet des discussions incluant la préoccupation de Boivin quant à la protection des renseignements pouvant être captés.

[37]            Trente sept copropriétaires sont présents ou représentés à l'assemblée générale annuelle du 09 septembre 2009 (D-30).

[38]            Marc Boivin demande l'ajout à l'ordre du jour de la demande de Madame Suzanne Boutin que ce sujet soit suspendu jusqu'à la décision de la Cour déjà saisie de ces arguments ou subsidiairement de prendre sur cette question un vote secret (P-19).

[39]            L'ordre du jour est adopté à trente cinq voix contre deux. La résolution proposée quant au contrat pour l'installation de caméras de sécurité est adoptée à 94.18%.

[40]            Le 27 novembre 2009, Marcel Côté, agissant comme président du Conseil d'administration, communique à tous les copropriétaires les normes d'utilisation du nouveau système (P-23).

 

SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES

TERRASSE LE JARDIN

 

À tous les résidents

 

Nous avons procédé à la mise à niveau du système de surveillance entre les deux portes du rez-de-chaussée.

 

L'objectif du système est d'accroître la sécurité des résidants de notre immeuble. Tel que convenu à l'assemblée générale annuelle, le Conseil a établi les normes d'utilisation suivantes:

 

 Accès aux données recueillies

 

1. L'équipement de saisie des données est dans un lieu réservé et verrouillé en tout temps.

2. Le Conseil a mandaté Marcel Côté et Jean-François Papillon comme gestionnaires et uniques détenteurs d'exemplaires de la clé du local.

3. L'accès aux données exige un mot de passe établi et connu seulement des deux mandataires nommés par le Conseil.

4. Les données recueillies peuvent être transférées sur un disque, mais en plein respect des points 5 et 6 ci-dessous.

5. On ne peut confier les données recueillies qu'aux autorités policières, aux fins d'identification et d'ajout à leur banque de données.

6. Le Conseil n'autorise la remise des données aux autorités policières qu'en cas de vandalisme, vol, menaces ou coups portés à une personne et autres méfaits.

7. Les mandataires sont responsables de l'entretien du système de caméras.

8. Les données recueillies sont conservées pendant un mois.

9. En cas de démission d'un mandataire, le Conseil doit nommer immédiatement son remplaçant.

 

(signature)

Marcel Côté

Président du conseil d'administration 

LES DISPOSITIONS CONTRACTUELLES

[41]            Le 26 février 1982, le demandeur achète l'appartement 601 (D-1). Il s'engage à respecter la déclaration de copropriété.

[42]            Le même notaire reçoit le même jour la déclaration de copropriété. L'acte décrit la destination de l'immeuble: un projet d'appartements résidentiels.

[43]            L'acte décrit les parties exclusives et les parties communes. Les parties communes sont composées du hall d'entrée, des corridors, des escaliers et du vestibule. Les parties communes comportent de façon générale toutes les parties de l'immeuble qui ne sont pas exclusives.

[44]            Comme dans toutes les déclarations de copropriété, on indique le quorum requis aux assemblées, la façon de voter, la possibilité de donner procuration à un autre copropriétaire, la qualification du vote selon les circonstances dont celle de l'unanimité du vote s'il y a changement de destination. La clause en question se lit comme suit:

"Except by unanimous vote of all co-proprietors, the co-proprietors cannot directly or indirectly change the destination of the immovable. They cannot, except by unanimous vote of all co-proprietors, decide upon the alienation of common portions, the retention of which is necessary to the destination of the immovable".  

[45]              Dans ce contexte, c'est l'aliénation des parties communes qui semble contraire à la destination de l'immeuble.

[46]            Si l'aliénation des parties communes est partielle, le vote requis est plutôt de la moitié des copropriétaires représentant ¾ des voix. La qualification du vote est la même s'il s'agit d'altération des parties communes. Le mot "alteration" en anglais veut dire: changement, modification, retouche[1].

[47]            Enfin, la déclaration de copropriété contient une disposition (p.18) sur les éléments du système de sécurité. Le système de sécurité comporte des câbles se rendant dans chacune des parties exclusives.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[48]            Outre la déclaration de copropriété, le Code civil du Québec contient des dispositions qu'il y a lieu de rappeler car applicables à ce cas. L'article 1039 C.c.Q. indique que la collectivité des copropriétaires constitue une personne morale qui a pour objet la conservation de l'immeuble, l'entretien et l'administration des parties communes, la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble ou à la copropriété, ainsi que toutes les opérations d'intérêt commun.

[49]            L'article 1056 C.c.Q. parle de la destination de l'immeuble sans toutefois la définir. La déclaration de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires, sauf celles qui sont justifiées par la destination de l'immeuble, ses caractères ou sa situation.

[50]            L'article 1063 C.c.Q. prévoit que le droit de chaque copropriétaire de jouir de sa partie privative et des parties communes a pour limite de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble.

[51]            Les articles 1087 et 1088 C.c.Q. sont relatifs aux assemblées annuelles: avis de convocation et ordre du jour. Les articles 1097 et 1098 C.c.Q. qualifient le vote requis. Le Tribunal note que c'est à la majorité des copropriétaires représentant le ¾ des voix que doivent se décider, entre autres, les travaux de transformation, d'agrandissement ou d'amélioration des parties communes alors que doit être prise à l'unanimité les décisions qui changement la destination de l'immeuble[2]. (ancienne version)

[52]            Tout copropriétaire peut demander au Tribunal d'annuler une décision de l'assemblée si elle a été prise au mépris de ses droits. Une telle action doit être prise dans les soixante jours de l'assemblée. C'est ici le cas.

[53]            L'article 1103 C.c.Q. ajoute à son troisième alinéa que le tribunal peut, si l'action est futile ou vexatoire, condamner le demandeur à des dommages-intérêts.

[54]            Ce litige est, en grande partie, basé sur la Charte des droits et libertés de la personne du Québec dont les dispositions pertinentes sont les articles 1,5,6 et 9.1.

art.1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne[3].

 

art.5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

 

art.6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

 

art.9.1. Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.

                       

                        La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager

                         l'exercice.

[55]            Ce droit au respect de la vie privée est également protégé par les articles 3 et 35 du Code civil du Québec. L'article 36 considère une atteinte à la vie privée de surveiller la vie privée par quelque moyen que ce soit.

LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE

a) L'affaire Amselem[4]

[56]            Le demandeur prétend que l'installation des caméras de surveillance dans les espaces communs constitue une violation de son droit à la vie privée garanti tant par le Code civil du Québec que par la Charte des droits et libertés de la personne.

[57]            Un droit analogue, celui de la liberté de religion, a déjà été analysé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Amselem. Amselem et d'autres personnes pratiquant la religion juive désiraient installer sur le balcon de leur appartement, détenu en copropriété, une "souccah", soit un abri à l'extérieur, pour pouvoir se recueillir pendant les neuf jours que dure la fête de Souccoth.

[58]            Malgré la proposition du Syndicat d'installer une "souccah" commune sur les terrains de la copropriété, chacun désirait avoir sa propre "souccah" sur son propre balcon. Leur demande a été rejetée tant en Cour supérieure qu'en Cour d'appel, notamment parce qu'avant d'acheter, ils avaient eu la possibilité de prendre connaissance de la déclaration de copropriété et de l'interdiction qui y est faite de conserver des installations sur les balcons.

[59]            La majorité de la Cour suprême a jugé qu'il y avait chez les demandeurs une croyance sincère dans le respect de ce précepte et, dès lors, atteinte à leur droit de pratiquer librement leur religion. L'accommodement proposé ne pouvait pas satisfaire les demandeurs. La Cour est d'avis est le droit des demandeurs pouvait être compatible avec le droit des autres copropriétaires car cette fête n'avait qu'une durée limitée soit 9 jours sur 365.

[60]            Les copropriétaires ont plaidé que leurs droits à la jouissance paisible de leurs biens et leur droit à la sûreté constituaient une limite aux droits des requérants. La majorité de la Cour juge non nécessaire de faire cette analyse pour trancher le litige d'autant plus qu'il s'agit, pour l'ensemble des copropriétaires, d'une atteinte minime à leurs droits.

[61]            Les juges de la minorité vont plus loin dans leur raisonnement que ceux de la majorité. Ils examinent les limites que peut apporter à ce droit l'article 9.1 de la Charte. La majorité des juges n'en a pas discuté de sorte que le Tribunal estime que sur l'interprétation de l'article 9.1 de la Charte, c'est le jugement de la minorité qu'il faut suivre.

[62]            Les juges minoritaires sont d'avis que ne sont pas nécessairement protégées par la liberté de religion, toutes les pratiques qui pourraient léser ou affecter les droits d'autrui dans un contexte de droit privé.

[63]            Selon l'article 9.1 de la Charte, les droits et libertés doivent s'exercer les uns par rapport aux autres, dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général. Il faut, expriment-ils, concilier tous les droits et valeurs et trouver un équilibre et un compromis conformes à l'intérêt général dans le contexte précis de l'affaire.

[64]            Les juges dissidents proposent de répondre à deux questions. Y-a-t-il atteinte à l'objet du droit fondamental. Si oui, cette atteinte est-elle licite compte tenu des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général. Une réponse négative à la deuxième question indique qu'il y a violation d'un droit fondamental.

[65]            Sur la première question, le requérant a le fardeau de la preuve. Sur la seconde, c'est le Syndicat de copropriété.

[66]            Le présent débat illustre bien le conflit pouvant survenir entre le droit à la protection de la vie privée et le droit des autres copropriétaires à la jouissance paisible de leurs biens et leur droit à la sûreté.

[67]            La réflexion des juges se termine sur le constat que tous doivent exercer leurs droits en harmonie avec ceux des autres.

[68]            Le juge Binnie ajoute une opinion quant à l'importance d'apprécier la conduite de celui qui requiert le respect de ses droits et la conduite raisonnable des autres copropriétaires. L'article 9.1, dit-il, fait ressortir que le plaignant doit exercer ses droits en tenant compte des réalités  de la vie en société, y compris le droit des tiers.  

[69]            Le Tribunal estime qu'il faut retenir de cet arrêt que toute atteinte aux droits garantis n'est pas automatiquement protégée. La protection accordée par la Charte doit être mesurée par rapport aux autres droits et en regard du contexte où ils s'exercent. Il faut tenter de concilier le fait de protéger la jouissance paisible des uns et l'atteinte aux droits des autres. Si les droits du requérant ne sont enfreints que de façon négligeable, le droit garanti n'entre pas en jeu.

[70]            Tous les droits reçoivent une protection autant ceux du requérant que ceux des autres copropriétaires. 

[71]            Toute entrave à l'exercice d'une liberté n'ouvre pas le droit à une action.

b) L'affaire Shoal[5]

[72]            L'usage de caméras de surveillance a fait l'objet d'une plainte à l'organisme chargé de protéger la vie privée en Colombie-Britannique. Le requérant y trouve appui car les copropriétaires dans cette affaire-là ont eu raison de s'y objecter.

[73]            Dans l'affaire Shoal, les copropriétaires ne s'objectaient pas à la présence de caméras de surveillance comme dispositif de sécurité. Ils s'objectaient à ce qu'on s'en serve pour détecter les comportements non conformes aux règlements de l'immeuble.  Ils s'objectaient aussi à l'inspection journalière des bandes vidéo par deux personnes de l'immeuble. Ils ont eu raison.

[74]            La décision Shoal met en lumière certaines normes d'évaluation de l'opportunité d'implanter un tel système.

[75]            Telle décision doit être basée sur une évaluation de chaque cas en regard de la nécessité d'un besoin réel de surveillance. On doit en mesurer les bénéfices attendus et l'impact sur la vie privée.

[76]            Pareil système ne devrait être implanté qu'en réponse à un problème réel de sécurité.

[77]            Le décideur estime donc que les caméras aux portes extérieures et au stationnement, pour prévenir un accès non autorisé et protéger la sécurité des résidents,  satisfait au standard minimum requis, pourvu que certaines modifications  quant à l'usage du système soient apportées. 

[78]            Le décideur estime "justifié" de conserver les caméras qui ont été installées mais recommande de limiter l'accès aux bandes vidéos au concierge, au personnel de sécurité et à quelques membres du Conseil d'administration. Le Conseil d'administration devra identifier les employés et les membres du Conseil d'administration qui y auront accès et ils ne devraient y accéder que de façon minimale.

c) Les recommandations de la Commission d'accès à l'information du Québec

[79]            Cette Commission encadre, non seulement l'accès à l'information, mais aussi la protection de la vie privée. Elle a émis en juin 2004 des règles sur l'utilisation de la vidéo-surveillance avec enregistrement dans les lieux publics par les organismes publics.

[80]            La Commission n'a pas formulé de règles quant aux lieux privés.

[81]            Le Syndicat Terrasse Le Jardin les a considérés dans la mise en œuvre des normes applicables à son système de surveillance.

[82]            La Commission établit que l'utilisation de la vidéo-surveillance représente une forme d'intrusion dans la vie privée. L'implantation de pareil système doit répondre à un caractère de nécessité. L'objectif poursuivi doit être suffisamment important pour justifier la cueillette de renseignements personnels et être proportionnel à cet objectif.

[83]            La Commission énonce les éléments à considérer avant d'opter pour la vidéo-surveillance.

"1) La vidéosurveillance doit être nécessaire à la réalisation d'une fin déterminée. Elle ne peut être utilisée de manière générale comme un dispositif de sécurité publique. Le problème à régler doit être identifié, récurrent et circonscrit.

2) L'objectif recherché par l'usage de la vidéosurveillance doit être sérieux et important. La prévention de délits mineurs ou la survenance de problèmes occasionnels ne peuvent justifier une intrusion dans la vie privée des personnes. La vidéosurveillance ne doit pas se révéler comme étant une solution de facilité. Les lieux ciblés doivent, notamment, être reconnus comme étant des espaces criminogènes.

3) Un rapport concernant les risques concrets et les dangers réels que présente une situation au regard de l'ordre public et de la sécurité des personnes, des lieux ou des biens doit être réalisé.

Ce rapport doit notamment faire état des points suivants:

-Les événements précis, sérieux et concordants qui se sont produits;

- Une identification claire du problème à régler;  

- Les exigences concrètes et réelles de sécurité publique en jeu;

- Les lieux ciblés pour la vidéosurveillance et leurs liens avec les motifs invoqués;

- Les objectifs importants, clairs et précis qui ont été identifiés.

 4) Des solutions de rechange moins préjudiciables à la vie privée doivent avoir été envisagées ou mises à l'essai et s'être avérées inefficaces, inapplicables ou difficilement réalisables.

Selon le problème à résoudre et les lieux concernés, d'autres solutions doivent avoir été expérimentées ou étudiées, notamment:

- la présence d'agents de sécurité;

- une patrouille à pied aux endroits névralgiques;

- L'implication de travailleurs ou de travailleuses de rue;

- un service d'accompagnement à l'automobile sur demande;

- un meilleur éclairage de la zone à protéger (rues, parcs, corridors, etc);

- l'installation de grilles protectrices et de systèmes d'alarme ou le marquage des objets reliés à un système d'alarme;

- une intervention du personnel de surveillance;

- la formation d'un comité de vigilance".

[84]            Le Conseil d'administration s'en est inspiré dans ses normes d'utilisation du nouveau système de surveillance.  

LA DESTINATION DE L'IMMEUBLE

[85]            Cette notion est au cœur de tous les conflits de copropriétaires car chacun a sa propre définition de ce qui compose la destination de l'immeuble.

[86]            Les seuls articles du Code à évoquer la destination de l'immeuble sont ceux mentionnés plus haut. Ils ne la définissent pas.

[87]            La déclaration de copropriété de Terrasse Le Jardin révèle un peu les composantes de la destination: un projet d'appartements résidentiels. L'aliénation totale des parties communes requiert le vote unanime des copropriétaires car leur rétention "is neccessary to the destination of the immoveable". Leur aliénation partielle requiert plutôt le ¾ des votes. La déclaration contient une disposition sur le système de sécurité.

[88]            Les auteurs et la jurisprudence illustrent davantage ce qui compose la destination de l'immeuble.

[89]            Christine Gagnon, dans son ouvrage sur la copropriété divise[6], définit la destination de l'immeuble comme étant le genre d'immeuble voulu par les copropriétaires, sa personnalité.

[90]            Les composantes de la destination de l'immeuble se retrouvent d'abord dans la déclaration de copropriété. Plus que la clause disant qu'il s'agit d'appartements résidentiels, l'auteur invite à considérer l'ensemble de la déclaration de copropriété. Les clauses détermineront la destination des parties communes et privatives permettant de préciser quel genre particulier d'immeuble les copropriétaires désirent.

[91]            La situation de l'immeuble est aussi à considérer (art.1056 C.c.Q.) ainsi que son environnement particulier.

[92]            La Cour d'appel indique qu'il faut interpréter de façon large la destination de l'immeuble[7].

[93]            La notion de destination n'est pas statique. Elle évolue avec l'immeuble. La personnalité d'un immeuble peut changer.

LES PRÉTENDUS VICES DES RÉUNIONS

[94]            Le requérant soulève des vices de forme quant aux avis, aux ordres du jour et aux décisions prises les 30 octobre 2008 et 09 septembre 2009, soit les deux réunions où on a accepté d'installer un système de surveillance par caméras vidéo.

[95]            La mention "sécurité dans l'édifice" identifie-t-elle suffisamment ce dont on projette de discuter le  30 octobre 2008?

[96]            Un vote secret aurait-il dû être accepté le 09 septembre 2009.

[97]            Le jugement du juge Paul Chaput de cette Cour, rendu le 09 avril 2009, aurait-il dû être mentionné lors de l'assemblée.

[98]            Ce jugement rejetait la requête en irrecevabilité et en rejet de la requête du demandeur pour le motif que la poursuite intentée par le demandeur contre le Syndicat méritait d'être examinée et soulevait une difficulté réelle. Il a été mentionné dans le rapport des administrateurs accompagnant l'avis de convocation à l'assemblée du 09 septembre 2009.

[99]            La décision d'installer le système de caméras devait-elle être suspendue en attendant le jugement sur le mérite du débat?

[100]      Enfin, le demandeur soutient que l'assemblée du 09 septembre 2009 a été partiale.

[101]        Dans le jugement du 09 septembre 2009, le juge Chaput note que le requérant ne fait pas de réel débat à propos du délai dans lequel l'amendement à l'ordre du jour a été fait pour la réunion du 30 octobre 2008 (par.27 du jugement). 

[102]      Par contre, dit-il, l'absence de précisions dans l'ordre du jour au sujet de l'installation du système de surveillance demeure au cœur du litige (par.28). 

[103]      Demeure aussi la question de la conformité du système à la destination de l'immeuble et, s'il y a lieu, de l'unanimité du vote requis pour y donner suite. 

LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

[104]      Le Syndicat demande le remboursement des honoraires professionnels encourus pour la défense à l'action du demandeur soit la somme de 37 880,09 $ ainsi que des dommages punitifs au montant de 10 000,00 $ pour un total de 47 880,09 $ avec intérêts et indemnité additionnelle et les dépens.

DISCUSSION

[105]        L'atteinte au droit du requérant à la vie privée se heurte au droit des autres copropriétaires à la sûreté de leur personne et de leurs biens. Lequel de ces droits doit prévaloir ?

[106]      Le requérant et tous les autres copropriétaires vivent en copropriété. Le mot même indique que la propriété de l'un doit s'harmoniser avec la propriété des autres.

[107]      Le demandeur exprime dans son témoignage: ici, je suis chez moi.

[108]      Les autres aussi sont chez eux et le requérant l'oublie.

[109]      En fait, le demandeur n'est chez lui que dans sa partie exclusive, toutes les autres étant communes. Le mot commun veut dire que l'usage de ces parties est aussi exercé par les autres copropriétaires. Le demandeur, comme les autres, circule dans les corridors, l'entrée et le garage. L'espace commun est, par définition, partagé par tous les copropriétaires et il est déjà une atteinte au droit exclusif et par conséquent à la vie privée.

[110]      Les administrateurs de la copropriété ont le devoir de veiller à la conservation de l'immeuble et à la conservation des parties communes. Les administrateurs ont aussi une responsabilité vis-à-vis de tous les autres copropriétaires. Monsieur Schultzki, l'un des administrateurs, a senti que la demande générale d'installer un système de sécurité lui imposait d'y donner suite malgré son opinion personnelle à propos des résultats discutables que peut donner l'enregistrement des allées et venues aux portes de l'édifice.  Schultzki a fait passer les intérêts communs avant son opinion personnelle.

[111]      Le requérant avait le fardeau de prouver qu'il s'agit d'une atteinte grave. Il s'agit d'une question de crédibilité.

[112]      Le requérant s'objecte à la prise de son image. Toutefois, l'édifice où il exerce sa profession est équipée d'un système comparable.  Le requérant, comme tout un chacun, va à l'épicerie, au dépanneur, à la station d'essence et au guichet bancaire, tous des endroits munis de caméras de surveillance.

[113]      Le demandeur dit accepter ces restrictions à son droit à la vie privée car, il s'agit d'une condition qu'il doit accepter pour fréquenter ces endroits.

[114]      L'appartement acheté par le requérant était équipé d'une caméra de surveillance au moment de son achat.

[115]      Ce système, composé d'une caméra reproduisant sur tous les appareils de télévision de tous les copropriétaires l'image de ceux qui entraient et sortaient de l'édifice, à raison de 24 h sur 24, était bien plus invasif. Quelqu'un aurait pu s'installer devant un téléviseur toute la journée dans le seul but d'observer les allées et venues de ses voisins.

[116]      En achetant, le requérant acceptait de se soumettre à la déclaration de copropriété, laquelle comportait une disposition à propos des caméras.

[117]      En 2008 et en 2009, la majorité des copropriétaires demande l'installation de caméras de surveillance (87.20 % en 2008 et 94.18 % en 2009). La démocratie a parlé. C'est la réalité de la vie en copropriété.

[118]      Le demandeur accepte que l'on remette en service la caméra d'origine.

[119]      Cette position discrédite l'argument du requérant. On ne peut à la fois s'opposer au système et l'accepter.

[120]       Ce que le requérant craint en réalité, c'est qu'on puisse utiliser ces enregistrements à d'autres fins que de surveiller les malfaiteurs et que les bandes vidéo puissent être observées par deux copropriétaires.

[121]      Il ne s'agit pas pour la copropriété d'une façon d'enquêter sur ses copropriétaires et le Syndicat ne monte aucun dossier. Il n'est pas question non plus de communication ou d'utilisation de l'image du requérant ni de celle d'un autre copropriétaire.

[122]      Tel que l'expriment les normes adoptées par la copropriété, le système est confidentiel (P-23). Il ne sera visionné que lors de la survenance de vols ou de vandalisme et, dans ce cas, pour aider l'enquête policière. Il faut bien que quelqu'un puisse distinguer les malfaiteurs des copropriétaires et ce sera la tâche de l'une ou de l'autre des personnes mandatées pour opérer le système.

[123]      Les normes adoptées par la copropriété sont certainement à peaufiner mais elles respectent dans l'ensemble les recommandations de la Commission d'accès à l'information.

[124]      Le Conseil d'administration devra les revoir et certainement remplacer Côté, comme personne autorisée, vu le conflit ouvert et perpétuel entre Boivin et Côté dont il sera fait état plus loin. 

[125]           Les délais de conservation des bandes devraient être courts, à titre d'exemple, trente jours.

[126]      Les enregistrements ne devraient être visionnés que lors d'une plainte.

[127]      Les décisions prises par l'ensemble des copropriétaires visent une protection contre le vol et le vandalisme. Le nombre de caméras (6) est important. Il faut toutefois reconnaître que, depuis leur installation, il n'y a eu aucun événement de vol ni de vandalisme. L'objectif recherché est donc atteint. Le système a fait la preuve de sa nécessité et de ses résultats.

[128]      Le Tribunal estime que la question du nombre de caméras a peu d'incidence. Il y a ou il n'y a pas atteinte au droit à la vie privée.

[129]      Le Tribunal estime ici que l'atteinte est minime et qu'elle se justifie dans le contexte de la protection d'un lieu partagé par tous les copropriétaires.

L'INSTALLATION DE CAMÉRAS APPORTE-T-ELLE UN CHANGEMENT À LA DESTINATION DE L'IMMEUBLE?

[130]       Il y avait une caméra dans l'entrée de l'immeuble au moment de la construction de l'immeuble. La déclaration de copropriété le mentionne. Le Tribunal estime que le système de sécurité fait partie de la destination de cet immeuble.

[131]      La destination d'un immeuble évolue aussi avec le temps. Les technologies évoluent elles aussi. La situation d'un immeuble change aussi.

[132]      D'un quartier étudiant tranquille, l'environnement de l'immeuble a changé dans les trente dernières années. Le quartier est très fréquenté, les vols et larcins sont plus fréquents. Il y a de nombreux vols et les occupants de l'immeuble se sentent moins en sécurité. La majorité des occupants a plus de soixante ans. En vieillissant, les personnes sont plus soucieuses de leur sécurité. Le besoin de sécurité est pour eux plus grand maintenant qu'auparavant. Il n'y a rien de choquant à reconnaître que les besoins aussi évoluent avec le temps.  

[133]         La technologie évolue elle aussi. Le système qui a été installé est, certes, plus performant que le précédent mais il est aussi moins invasif que le système d'origine.

[134]      Tel qu'exprimé plus haut, la destination de l'immeuble (sécurité par caméras) doit être protégée.

[135]      Il s'agit en quelque sorte de mieux protéger un élément de la destination de l'immeuble. Il s'agit aussi de préserver sa valeur.

[136]      Dans l'esprit du Tribunal, l'installation d'un meilleur système de sécurité s'inscrit dans la conservation de la destination plutôt que de la changer. Elle vise la mise en œuvre de la destination. La sécurité est une composante de la destination de l'immeuble.

[137]      En conséquence, le vote unanime des copropriétaires n'était pas requis et le vote qui a été pris était suffisant.

[138]      L'ordre du jour pour la réunion du 30 octobre 2008 ("sécurité dans l'édifice") était-il suffisant?

[139]      En raison des événements de l'été 2008, de la panique qui a suivi et de la demande générale d'installer un système de sécurité, il ne fait aucun doute que chacun savait de quoi on parlerait.

[140]      Boivin était présent à l'assemblée et n'a pas soulevé l'irrégularité de cet ajout. L'ordre du jour a été accepté à la majorité. Boivin s'est exprimé contre le système de sécurité au moment prévu des discussions. Son opinion n'a pas été retenue.

[141]      S'il y a eu vice dans la tenue de cette assemblée, ce que le Tribunal ne croit pas, il a de toute façon été corrigée par l'assemblée du 09 septembre 2009

[142]      L'ordre du jour pour la réunion de 2009 est plus soigné. Il annonce le contrat ainsi que la résolution proposée.

[143]      Si la procédure est mieux suivie en 2009, c'est certainement en raison de l'institution d'une requête par Boivin, laquelle attaquait la réunion de 2008. En cela, la requête a eu un effet positif sur la précision des avis ainsi que de l'ordre du jour futurs.

[144]        Boivin a demandé en 2009 que le sujet des caméras soit suspendu en attendant la décision sur le fond du litige.

[145]      Il arrive souvent que, par déférence pour les tribunaux, des questions faisant l'objet de recours soient suspendues en attendant la décision finale. Il s'agit uniquement d'une question de respect à l'égard d'une décision future. Cette suspension n'a pas d'aspect obligatoire.

[146]      Il aurait pu en être différemment si le jugement avait ordonné la suspension du projet ou s'il avait prononcé une ordonnance d'injonction.

[147]      Cette demande de suspension a été soumise à l'assemblée et elle a été rejetée comme a été rejetée la proposition de tenir un vote secret.

[148]      Une demande d'annuler une décision prise par un Conseil d'administration ou une assemblée générale n'oblige pas le Tribunal à y donner suite s'il est convaincu que la décision, même si elle était reprise, serait la même.

[149]      Il n'y a aucun vice de forme ni irrégularité dans la tenue des assemblées annuelles 2008 et 2009 qui justifie d'annuler les décisions qui ont été prises. 

[150]      Une déclaration de nullité aurait pour conséquence la reprise de l'assemblée annuelle. Or, le Tribunal est convaincu que le résultat serait le même.

[151]      Le requérant allègue que les décisions qui ont été prises, étaient partiales.

[152]      Le Tribunal a pu apprécier au cours de l'enquête qu'il y a ici deux pôles d'influence. D'un côté Marcel Côté, de l'autre Marc Boivin.

[153]      Depuis 2003, Côté revient périodiquement au Conseil d'administration avec sa proposition d'un système de caméras. Boivin s'y oppose à chaque fois. Au début, Boivin n'est pas le seul à s'y opposer. D'autres membres étaient septiques quant aux résultats attendus.

[154]      Au fil des ans, Côté revient avec sa proposition. En 2008, tout le monde sauf Boivin est convaincu de sa nécessité en raison de la survenance de vandalisme et des vols de l'été 2008.

[155]        Côté revient au Conseil d'administration avec sa proposition. Les discussions dégénèrent en bataille de clans. Côté et les autres d'un côté et Boivin de l'autre. Chacun dépasse les bornes de la convenance et du respect à accorder à l'égard des autres. Côté démissionne avec fracas du poste de président. Boivin le remplace.

[156]      Plus tard, Côté revient au Conseil et pas Boivin.

[157]      Boivin menace le Conseil de poursuivre le Syndicat. Il menace ses membres. Ceux-ci sont inquiétés. En particulier Jean-François Papillon témoigne, qu'en raison de sa profession, il doit dévoiler chaque année les poursuites qui pourraient être intentées  contre lui. Une poursuite de la part de Boivin aurait eu beaucoup de conséquences pour lui.    

[158]       Boivin va même jusqu'à sonner à la porte d'une autre copropriétaire pour lui dire qu'il la poursuivra.

[159]      Les copropriétaires sont inquiétés par l'attitude vindicative de Boivin.

[160]      Le Conseil décide de demander une opinion juridique. Côté donne en son nom personnel, mandat à un avocat et il paye le compte.

[161]      De plus, Côté avancera régulièrement par la suite des sommes importantes au Syndicat pour lui permettre de se défendre à l'action intentée par le requérant. Quelque 40 000,00 $ en honoraires sont engagés. Le fonds de réserve du Syndicat totalise environ 100 000,00 $. Il n'a pas été accumulé pour financer des procès. Côté s'occupe de payer les frais d'avocat.

[162]      Le demandeur considère que Côté s'est placé dans une situation de conflit d'intérêt. Il est président du Syndicat, finance la défense du Syndicat et est l'une des personnes autorisées à accéder aux enregistrements vidéo.  

[163]      En raison du conflit de personnalité entre Côté et Boivin, Côté ne devrait pas être l'une des personnes à être autorisée à visionner les enregistrements.

[164]      Le Syndicat se considère endetté envers Côté. Une somme de 16 365,07 $ (D-32) est portée au passif du Syndicat (P-25). Côté explique que de temps à autre, il paye certaines dépenses non budgétées de façon à ne pas créer de déficit au Syndicat.

[165]       Côté explique aussi qu'à Montréal, il s'implique dans une multitude de projets caritatifs et qu'il est sensible aux besoins de ses concitoyens.

[166]       Côté paye certains frais pour éviter aux autres de les payer. Il avoue aussi être bien, là où il est (il occupe deux condos jumelés) et il estime qu'il en coûterait plus cher de déménager.

[167]      Côté a aussi payé les honoraires de l'opinion juridique.

[168]      Le Syndicat réclame ces honoraires de Boivin.

[169]      L'article 1103 C.c.Q prévoit que si l'action est futile ou vexatoire, le demandeur peut être condamné à des dommages-intérêts.

[170]      Le Syndicat a déjà présenté une requête en rejet des procédures de Boivin parce que futiles et dilatoires. Cette requête a été rejetée, le juge Chaput estimant qu'il y a ici une difficulté réelle et que la poursuite n'est pas futile et dilatoire.

[171]      Ce n'est pas parce que l'action du demandeur sera rejetée qu'il s'agit pour autant d'une poursuite qui est futile et dilatoire. Il n'y a pas non plus ici abus de procédures au sens de l'arrêt Viel[8]

[172]      Le demandeur a amendé plusieurs fois sa requête. Une partie peut amender en tout temps. Le demandeur s'est ajusté à l'évolution des événements. Les éléments de la poursuite n'ont pas changé. Ils existaient déjà au moment des assemblées. Ce sont encore les mêmes questions qui sont soulevées présentement.

[173]      Le Tribunal n'a cependant pas de félicitations à adresser au demandeur pour son comportement. Le demandeur n'accepte pas d'autres idées que les siennes. Cela le porte à devenir colérique et menaçant. Il a menacé les membres du Conseil d'administration de les poursuivre personnellement.

[174]      Les membres du Conseil d'administration ont toujours agi collectivement et à l'intérieur de leur rôle.

[175]      Les menaces du demandeur constituaient du chantage et avaient pour but d'inspirer aux membres du Conseil d'administration de la crainte afin de les empêcher d'accomplir leur devoir. Le demandeur a eu une attitude désagréable intempestive et un comportent vindicatif. Le demandeur a poursuivi un objectif personnel à l'encontre des intérêts communs.

[176]      Le demandeur n'a pas cherché à concilier les intérêts de tous. Par son attitude, il a provoqué ses interlocuteurs. Il est à l'origine de la regrettable hausse du ton des discussions et des débordements auxquels les réunions du Conseil d'administration ont donné lieu. Son action sera rejetée avec dépens. Cependant, la demande reconventionnelle sera rejetée sans frais.                 

[177]      POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL;

[178]      REJETTE la requête introductive d'instance AVEC DÉPENS.

[179]      REJETTE la demande reconventionnelle SANS FRAIS.

 

 

__________________________________

MARIE-CHRISTINE LABERGE, J.C.S.

 

Me Pierre P. Quesnel

pour M. Marc Boivin

 

Me Luc Huppé

DE GRANDPRÉ JOLI-COEUR

pour Syndicat des copropriétaires Terrasse le Jardin Durocher inc.

 

 

Dates d'audience: 06,07 et 08 juin 2011.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]Harrap's Shorter dictionary, 1996.

[2] La Loi sur l'application de la réforme du Code civil L.Q.1992 c.57 art.53 maintient les anciennes

dispositions du Code civil du Bas-Canada quant aux déclarations de copropriété existantes.

[3] Dans sa version anglaise, le mot "sûreté" est traduit par "security".

[4] Syndicat Northcrest c.Amselem 2004 CSC 47 (CanLII), 2004 C.S.C. 47.

[5] Shoal Point Strata Council c. Office of the Information and Privacy Commissionner, order P09-02, 02

 décembre 2009.

[6]GAGNON Christine, la copropriété divise, 2ème  éd., Éditions Yvon Blais 2007.

[7] Kilzi c. Syndicat des copropriétaires du 10400 Boulevard de l'Acadie 2001 CanLII 10061 (QC CA), [2001] R.J.Q. 2401, R.D.I. 619

 (C.A.).

 Amselem c. Syndicat Northcrest, op.cit., supra nº4.

[8] Viel c. Les Entreprises Immobilières du Terroir Ltée 2002 CanLII 63411 (QC CA), 500-09-007532-989 (C.A.) 22 octobre 2002.